Très remonté contre la Monusco, Me Omar Kavota, à la tête de l'une des ONG les plus actives dans le Nord-Kivu, estime que les Casques bleus déployés en RD Congo ne constituent pas une force appropriée pour mettre fin aux exactions contre les civils à Beni.
De Goma à Beni, tout le monde connaît Me Omar Kavota. Ancien vice-président et porte-parole de la société civile du Nord-Kivu pendant
la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), le jeune avocat de 34 ans est revenu s’installer fin 2014 à Beni, où il a relancé les activités de son Centre d’étude pour la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’Homme (Cepadho). Une ONG étiquetée pro-Kinshasa par ses détracteurs.
Natif d’Oicha, localité située dans ce qu’on appelle aujourd’hui
le « triangle de la mort », cet ancien enseignant d’anglais dit se sentir aujourd’hui investi d’un devoir. Celui de « défendre avec passion la question de Beni » : « Parce que toutes les victimes des exactions en cours sont, en quelque sorte, ma famille », explique-t-il.
Me Kavota est aussi l’un des premiers acteurs de la région à privilégier la piste jihadiste pour justifier
la série des tueries perpétrées à Beni. Dans son viseur : des rebelles ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF). Mais pas seulement.
Jeune Afrique : L’armée congolaise parle d’une accalmie dans le territoire de Beni. Partagez-vous le même sentiment ?
Me Omar Kavota : C’est une accalmie relative. Certes, ces derniers jours, il n’y a pas eu de massacres des populations mais la situation sécuritaire à Beni demeure préoccupante. Tenez, début février par exemple, six civils ont été kidnappés dans leurs champs, à 13 km de la ville de Beni.
En réalité, la population de Beni est toujours prise en étau. Sur l’axe Oicha-Eringeti par exemple, personne n’ose plus aller au-delà de 2 km sur la route nationale n°4 (RN4). Des cultivateurs ont abandonné leurs champs, des villages entiers − Kisiki, Mayi Moya, Linso, Kokala − sont déserts. Leurs habitants ont fui pour venir se mettre à l’abri dans des grandes agglomérations. Et sur l’axe Mbau-Kamango, dans le nord-est du territoire de Beni, les embuscades des ADF sont multiples, restreignant ainsi la libre circulation des personnes et de leurs biens. À tout moment, l’irréparable peut arriver. Même scénario à Manyangos, la partie agricole de Beni, devenu aujourd’hui le lieu de passage régulier des ADF.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette persistance de l’insécurité à Beni ?
Il y a une vérité qui semble être ignorée par beaucoup de monde : Beni est confronté au terrorisme. Ce dernier est caractérisé ici par la présence des islamistes ADF. Jadis rébellion ougandaise, les ADF se sont aujourd’hui constitué un réseau de bases de formation des terroristes notamment le long de la rivière Semliki. On y recrute et forme des Ougandais, Rwandais, Kényans, Sud-Soudanais, Somaliens, Burundais aux côtés de quelques Congolais enrôlés.
Les ADF se sont constitué un réseau de bases de formation des terroristes.
Ce sont ces bases de formation à la fois militaire et idéologique qui ont fait l’objet, dès début 2014, d’assauts de l’armée
dans le cadre de l’opération Sokola 1. Certaines d’entre elles ont en effet été détruites. Pour se venger, les ADF ont commencé, en octobre de la même année, à perpétrer des exactions contre les civils.
C’est là où l’on se trompe. Comment voulez-vous que celui qui vient de New-York et passe deux ou trois jours à Beni soit la personne la plus indiquée pour parler de la situation que nous vivons ici depuis plusieurs années ? Loin de remettre en cause les capacités des experts des Nations unies, nous notons simplement une volonté manifeste de ne pas alerter le monde sur ce qui se passe à Beni.
Le danger va finir par ronger toute la région des Grands Lacs.
Il en est de même de la Monusco, dont les Casques bleus collaborent avec les FARDC, mais qui se mure aussi dans le silence. La situation sécuritaire à Beni est pourtant similaire à celle du Nigeria, du nord du Cameroun, de la Somalie, de l’Irak, qualifiée par ailleurs comme étant du terrorisme. En gardant le silence sur ce qui se passe à Beni, le danger va finir par ronger tout le pays, voire toute la région des Grands Lacs.
Est-ce que parce que ce terrorisme ne s’est pas encore attaqué aux citoyens occidentaux que la communauté internationale ne fait rien pour éradiquer les écoles de formation au jihad dans le territoire de Beni ?
N’est-ce trop fort de dire que la communauté internationale ne fait rien lorsque l’on sait que la plus importante mission onusienne, la Monusco, se trouve justement en RD Congo ?
Pour l’instant, les Casques bleus déployés en RD Congo ne comprennent pas la nature de la menace à Beni. Sinon, ils seraient déjà venus à bout de l’ennemi. À moins que toute cette inaction de la Monusco ne participe qu’à une stratégie pour s’éterniser en RD Congo. Parce que si la Monusco dit au monde qu’elle fait face au terrorisme à Beni, la communauté internationale va vite se rendre compte que les Casques bleus ne sont pas de taille face à la menace et qu’il faudrait envoyer des unités spécialisées.
Si le terrorisme s’enracine à Beni, c’est aussi parce qu’il y a une complicité des populations locales. Il y a un procès en cours. Parmi les prévenus, on retrouve des chefs coutumiers, des jeunes de la province du Nord-Kivu, voire de l’Ituri, mais aussi certains officiers de l’armée.
En conséquence, la population a perdu confiance dans l’armée. Pis, des responsables politiques, originaires de Beni, ont prétendu, à tort, que le président Joseph Kabila, à travers le général Muhindo Akili Mundos, était responsable de l’insécurité dans la région. L’officier a été relevé de ses fonctions ici mais des tueries ont continué.
Source: Jeune Afrique