
Congo Belge, années 50 : bienvenue dans le monde de Godelive, fillette de 7 ans envoyée loin de sa famille pour recevoir l’enseignement catholique des sœurs belges de la Congrégation du Sacré Cœur, seul établissement du pays à promouvoir la langue française ! Gros plan sur une paire d’yeux effarés dans une bouille ronde et une paire de ciseaux qui dévaste une crinière de sauvageonne : il s’agit de mater la nature rebelle.
Première leçon de lecture : une très jeune religieuse vêtue de blanc, Bible en mains, accent flamand à couper au couteau, fait lire les élèves et Godelive, paralysée de honte, sèche sous les moqueries d’une grande, Albertine, la meneuse qui, chargée de l’aider pendant la récréation, en fera son souffre-douleur attitré.
Un film en noir et blanc. Ombre et lumière : la fillette tâtonne telle une aveugle dans ce monde cruel, se blesse à chaque découverte, et s’accroche à cette religieuse lumineuse, Soeur oyo (en Lingala, Soeur oyo, se traduit par : Cette sœur là ) cornette, réputation et intentions irréprochables... En danger l’une et l’autre finalement.
Un film en couleurs : luxuriance équatoriale, explosion chromatique des rêves, en opposition à celles du jardin dompté par la civilisation coloniale dans lequel pourtant, rôde un serpent qui se joue des frontières.
A la tête de ce collège expérimental, destiné à former les filles et futures épouses des « évolués », ainsi baptisés par le régime colonial, règne la mère supérieure, qui, sous des abords doucereux, tyrannise comme il se doit la si blonde, si jeune, si belge et si idéaliste Astrid, religieuse et professeur de la Congrégation.
Aux faits et gestes des adultes qui prennent des proportions d’autant plus grandes qu’elle n’a pas les règles du jeu, à l’injustice dont elle est victime, Godelive oppose une passivité de surface, s’évade, retrouve sa grand mère dans ses rêves, entrevoit une vie peuplée d’esprits tutélaires en même temps qu’elle s’attache aux pas de la sœur blanche et découvre ses secrets.
Un jour, l’évêque s’annonce. Branle bas de combat dans ce petit monde. Les filles apprennent un cantique, un jardinier chargé des fleurs sort de l’ombre ...Tout va se détraquer, le serpent investit le jardin, le vernis craque, la vie marque des points, vérités et fantasmes en fondu enchaîné, inimaginable rapprochement des pulsions... Victime d’une dernière cruauté Godelive ne chantera pas le Canticorum Jubilo, mais elle a appris à retrouver le chemin des siens, celui de la vie plus forte que les règles, celui de la liberté..
Monique Mbeka Phoba, réalisatrice belge d’origine congolaise, a consacré sa carrière à la création de documentaires. Pour sa première fiction, elle adapte sa propre nouvelle qui retrace les années de sa mère dans le collège de Mbanza Mboma près de Léopoldville. Le déclic ? Le film de Fred Zinneman, Au risque de se perdre(1959), avec une Audrey Hepburn en religieuse, aux prises avec ses doutes dans un hôpital congolais...Comment nier le cousinage entre la beauté de l’actrice hollywoodienne et celle de Soeur oyo ? (Laura Verlinden)
Une superbe image capte l’ambivalence des univers, des jeunes actrices excellemment dirigées, et un art de l’ellipse maîtrisé placent d’emblée ce court de 23 minutes et 45 secondes dans la cour des grands .
On a beau préférer la suggestion à l’explication de texte, on peut avoir des situations à développer, des personnages à accompagner, des angles à explorer... C’est ainsi que Monique Mbeka Phoba après avoir affûté ses pinceaux avec cette première fiction, en prépare maintenant la version longue . A bientôt donc !
Michèle Solle
Crédit photo : Monique Mbeka Phoba (DR)
Source: http://www.clapnoir.org/spip.php?article1095
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