samedi 3 juin 2017

RD Congo - Sindika Dokolo : "Je ne me positionne pas pour les élections"



ENTRETIEN. Collectionneur d'art, marié à Isabel dos Santos, fille du président angolais, Sindika Dokolo a pu donner l'impression d'osciller entre art et politique. Il explique.
PROPOS RECUEILLIS PAR J.-J. ARTHUR MALU-MALU
Publié le  - Modifié le  | Le Point Afrique
Collectionneur d'art, Sindika Dokolo a aussi son regard sur le monde politique de la RD Congo.
Collectionneur d'art, Sindika Dokolo a aussi son regard sur le monde politique de la RD Congo. © DR


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La situation est de plus en plus inquiétante en RD Congo, où les violences se multiplient. Plusieurs dizaines de milliers de Congolais ont été contraints de fuir le Kasaï, dans le centre du pays, pour trouver refuge en Angola voisin, où certains d'entre eux ont été maltraités dans une quasi-indifférence des autorités de Kinshasa. Congolais lui-même, Sindika Dokolo a été sensible à la détresse de ses compatriotes réfugiés en Angola, à qui il a accordé une aide humanitaire. D'ordinaire discret et peu loquace, ce quadra, collectionneur d'art et homme d'affaires, marié à Isabel dos Santos, considérée comme la femme la plus riche d'Afrique, a manifesté son indignation sur les réseaux sociaux et a montré un certain pessimisme quant à la situation en RDC caractérisée par un processus électoral loin d'inspirer confiance. Alors que certains lui prêtent l'intention de se porter candidat à l'élection présidentielle prévue en décembre 2017, entre art et politique, il a livré au Point Afrique le fond de sa pensée.
Le Point Afrique : pourquoi avez-vous fait ce geste humanitaire à l'endroit de ce groupe de réfugiés congolais en Angola ? 
Sindika Dokolo : Ça fait longtemps que je suis sensible à la détresse de nos compatriotes, notamment dans l'est du pays. J'ai plusieurs associations caritatives – dont Téléma au Congo et une association culturelle à Luanda – qui ont déjà effectué des travaux de soutien dans des situations de crise. Cette fois-ci, j'en ai parlé pour deux raisons : la première, car cela s'est passé à Dundo, où ma fondation intervient dans le cadre de la récupération des œuvres tchokwe volées dans le musée local pendant la guerre d'Angola. J'ai les moyens logistiques d'agir sur place ; et la seconde raison est qu'à la différence des précédentes crises qui ont entraîné des migrations ou des mouvements de populations du Congo vers l'Angola, celle-ci présente des cas choquants. J'ai été choqué. J'ai vu des images. On m'a rapporté des témoignages de personnes qui ont été battues, violées, blessées à la machette… Des dizaines d'enfants sont venus sans parents, etc. C'est vraiment sans précédent.
Visiblement, les autorités congolaises n'ont pas réagi au mauvais traitement infligé à des ressortissants congolais à leur arrivée à Luanda... 
Ce que le gouvernement congolais dit et fait ne m'engage pas et ne m'intéresse pas. On a l'impression qu'il y a une rhétorique. Il semble avoir réponse à tout, mais il ne résout rien. On dit que les Kamwina Nsapu (NDLR : les milices officiellement tenues pour responsables des violences) sont des villageois munis de bâtons, mais on constate que des gens sont blessés par balle. Des militaires ont fui la RDC pour aller en Angola. Je ne sais pas si on les a chassés à coups de bâton. Mais tout cela sent la mise en scène et, quand on regarde le bilan humain, ça suscite des suspicions terribles. Si on regarde tout ce qui se passe dans l'Est, le Kasaï et le Congo central, etc., on se demande si on n'est pas en face d'une stratégie ou d'une politique délibérée.
Ce n'est pas la première fois que des Congolais se réfugient massivement dans un pays voisin après une vague de violences internes. Peut-on imaginer que vous étendiez votre aide à d'autres réfugiés congolais ? 
Cela a déjà été le cas. Je ne fais pas de publicité autour des actions caritatives que je mène. J'ai une fondation à Kinshasa, avec un budget d'environ 1 million de dollars par an. J'apporte de l'aide pour les orphelinats, les hôpitaux, la rentrée scolaire, etc. Je suis donc déjà très présent sur ce segment-là. Mais il se trouve que cela se passe à Dundo, où ma fondation est présente, et j'ai été très choqué par l'état des réfugiés, leur état de détresse et de traumatisme, je m'en suis fait l'écho. Il ne s'agit pas, pour moi, de faire de publicité. Je n'ai rien à vendre. J'ai simplement voulu alerter l'opinion, faire part de mon indignation et de ma préoccupation. Je ne pensais pas voir un jour une telle chose au Congo.
Sous quelle forme cette aide humanitaire s'est-elle manifestée  ?
On a envoyé 200 tonnes d'aliments divers : du riz, de l'huile, de la farine, etc. Il y avait une série de choses. On prépare une autre livraison, de produits pharmaceutiques cette fois-ci.
Le Congo est, si on peut dire, le champion du monde des déplacés avec environ 3,7 millions de personnes concernées, selon un rapport récent du Conseil norvégien des réfugiés…
Ce sont des chiffres dont on n'arrive pas à prendre la mesure. Mais, si on prend en compte chaque enfant, chaque femme, chaque vieillard, tous complètement déracinés et qui ne savent pas comment ils vont survivre, c'est une somme de tragédies humaines qui est terrible. En tant que Congolais et Africain, ce qui me préoccupe beaucoup, c'est qu'on ne peut pas dresser un bilan de la situation sans envisager les conséquences d'un tel drame dans les 20 ou 30 prochaines années. Il ne s'agit pas de traiter uniquement la question au plan humanitaire, mais également au plan social et sur le moyen et long terme. Ces déplacés et ces réfugiés sont des populations livrées à des violences et à des exactions de toutes sortes, qui ne vont pas à l'école et qui ont moins de 1 000 mots de vocabulaire. Il sera difficile de les réintégrer plus tard. Leur réintégration hypothèque la stabilité de tout le centre de l'Afrique. Il y aura toujours une fragilité et une instabilité qui pèseront sur l'avenir de toute la sous-région. Il est absolument impossible d'envisager une situation de paix et de développement à terme avec des réalités pareilles. C'est très préoccupant.
Quel regard portez-vous sur le phénomène Kamwina Nsapu dans le Kasaï ?
C'est très difficile de se prononcer sur des cas qui ont tellement de particularismes et de particularités culturelles… Ces populations ont une religion particulière. Il y a une donne socio-politique et une donne ethno-tribale également particulières. Je constate toutefois que le bilan de la gestion que le gouvernement a faite de cette situation qui, apparemment, au départ, était une affaire de succession est catastrophique. Je m'étonne qu'aucune sanction ou démission n'ait été envisagée. À aucun moment, on n'a cherché à établir les responsabilités. Ces villageois semblent bénéficier d'un soutien ou instrumentalisés sous un nouveau format complètement paramilitaire.
Que pensez-vous des sanctions de l'Union européenne contre des personnalités congolaises ?
Je me méfie toujours de ce type de sanctions. C'est un droit qui est appliqué à certains dirigeants et parfois de manière subjective. Je serais toutefois favorable à tout ce qui peut contribuer à faire prendre conscience au président Kabila que vouloir se maintenir au pouvoir à tout prix, quitte à instrumentaliser, à racheter les opposants, à dédoubler les partis, à instruire des procès fantaisistes des opposants qui pourraient constituer un danger pour sa stratégie de maintien au pouvoir, n'est pas une solution.
Vous vous exprimez de plus en plus sur les réseaux sociaux sur la situation en RDC… À quoi ce changement de comportement de votre part est-il dû ?
Je suis né au plus fort du Mobutisme, pendant la IIe République. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas de prénom chrétien (NDLR : les prénoms chrétiens étaient interdits à l'époque au Zaïre). Je sais ce que c'est que de vivre dans un système de parti unique, où on n'a pas le droit d'exprimer une autre opinion. Je sais à quel point le fait d'avoir cette liberté d'opinion, la possibilité de sanctionner les responsables politiques à intervalles réguliers, dans un cadre transparent, légitime et crédible, est un acquis précieux. J'ai l'impression qu'au Congo on est en train de perdre cette perspective, et moi, en tant que citoyen congolais, je ne veux pas être absent de ce combat-là pour défendre les acquis démocratiques.
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2017 est une année électorale en RDC, sur le papier tout au moins. Et la Constitution n'autorise pas Kabila à briguer un nouveau mandat… Avez-vous des ambitions présidentielles ?
2017 ne sera pas une année électorale tout simplement parce qu'il n'y a pas eu une volonté politique d'organiser le scrutin en 2016 et il n'y a pas une volonté politique de le faire en 2017. Le problème n'est pas d'avoir des élections coûte que coûte, mais de ramener la paix au Congo et de se remettre au travail. Pour ça, il nous faut des élections crédibles et transparentes. Aujourd'hui, on nous dit : « Allons aux élections, c'est le plus important. » Mais Moïse Katumbi ne peut pas rentrer parce qu'on lui a collé un procès fantaisiste sur la tête. Ce n'est pas mon avis, mais les conclusions d'une étude approfondie des évêques qui, je pense, sont au-dessus de tout soupçon. Si les élections ne sont ni crédibles ni organisées dans les délais, c'est là le grand problème. Quelles conséquences ces deux facteurs auraient-ils sur l'escalade de la violence et de l'instabilité que l'on a à l'heure actuelle ? Je salue l'attitude de l'Union africaine qui essaie d'être solidaire du Congo et du gouvernement, et d'avoir en même temps un dialogue exigeant en demandant au gouvernement de faire preuve de bonne volonté et d'accepter le principe qu'effectivement il n'y a pas de passage en force. Saboter le processus pour essayer de tenir un référendum, réviser la Constitution, renvoyer les élections aux calendes grecques ou organiser des ersatz d'élections ou une parodie d'élections…, tout cela n'est plus acceptable. Il est important que le gouvernement congolais comprenne que beaucoup de gens, et même l'opinion publique congolaise, sont attentifs à la situation au Congo et qu'on ne va plus pouvoir faire de petits tours de passe-passe ou des effets de manche comme on l'a fait jusqu'ici. Le Congo n'a pas besoin de plus de politiciens et de plus de candidats ou d'hommes providentiels. Je ne prends pas la parole parce que j'ai des ambitions politiques. Il y a suffisamment de politiciens qui le font. Ce qui est important pour le Congo, c'est qu'on tourne cette page et que, demain, on puisse réformer la vie politique. Je n'ai pas de carrière politique. Je ne me positionne pas pour les élections.
N'empêche, vous êtes la cible d'un tir de barrage sur les réseaux sociaux pour vos prises de position qui ne plaisent pas dans certains milieux congolais…
Tout ce qui ne va pas dans le sens de la réalité virtuelle créée par le gouvernement est pris pour de la sédition, du mensonge ou de l'ambition. Ce que je veux, c'est parvenir, avec ma parole de patriote qui est libre, exigeante et sans concession, à inspirer d'autres Congolais qui n'ont pas d'ambitions politiques. Il faut dépolitiser la vie publique au Congo. On est sans doute le pays au monde qui détient le record du poids de la vie politique sur son économie, avec ses 26 provinces, ses gouvernements provinciaux, ses assemblées provinciales, ses 500 députés et ses 100 et quelques sénateurs. Le Congo souffre et meurt de la surpolitisation de sa vie publique. Il faut dégonfler tout cela. Je veux être un libre penseur qui arrive à proposer des idées, à prendre des positions qui peuvent inspirer et entraîner des Congolais vers une nouvelle manière de concevoir le vivre-ensemble, parce que je pense que c'est nécessaire. Je le fais avec d'autant plus de liberté et de tranquillité d'esprit que je ne suis pas en train de me monter un profil politique ou de me présenter à une élection.
Quelles sont vos relations avec l'ex-gouverneur Moïse Katumbi, candidat déclaré à la prochaine présidentielle ?
J'ai beaucoup d'admiration pour lui. Tant sur le plan personnel que pour la manière dont il gère ses propres affaires ou dont il a géré l'ex-province du Katanga. Ce serait inconcevable d'organiser des élections crédibles au Congo sans lui donner une chance de présenter son programme et d'être sanctionné par le vote des Congolais.
Votre voix irait donc tout naturellement au candidat Moïse Katumbi ?
C'est compliqué. Je ne sais pas s'il serait correct de dire pour qui on voterait. Mais je me sens très proche des idées et des valeurs de Moïse Katumbi. Je ne connais pas les autres candidats. En fait, c'est une vue de l'esprit, une question très théorique, car il n'y aura pas d'élections en 2017 et il n'y aura pas de bonnes élections en 2018. On est dans une espèce de fuite en avant permanente… C'est moi ou le désastre ! C'est moi ou Harmaguédon ! Cela n'est pas acceptable. Je me dresse contre ça.
Où en sont les démêlés judiciaires de la famille Dokolo avec l'État congolais ?
J'aurais aimé investir un peu plus au Congo. J'ai réussi à développer mes affaires en Angola. Je me suis beaucoup inspiré de l'expérience de mon père et des conseils qu'il m'a prodigués avant sa mort. J'ai tout simplement reproduit un modèle qu'il avait développé dans les années 60-70-80 au Zaïre et que j'aurais aimé appliquer au Congo. Mais, pour cela, il conviendrait que le pouvoir actuel reconnaisse que ma famille a été spoliée et qu'on lui rende au moins les choses qui lui ont été prises. C'est cela, le baromètre. Or, aujourd'hui, le siège de la banque de mon père « appartient » toujours à une banque katangaise. Compte tenu de l'histoire de ma famille, je ne me vois pas aller me mettre dans la gueule du loup, alors qu'on n'est pas capable de me rendre les biens qui me reviennent de droit.
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Le pouvoir change de main en Angola en août… Connaissez-vous João Lourenço, le successeur de votre beau-père, Edouardo dos Santos, à la tête du pays ?
Oui, bien sûr. C'est quelqu'un de bien connu en Angola. Il a beaucoup travaillé au sein du MPLA. Il connaît vraiment les arcanes du parti de fond en comble. Il connaît la culture et les mentalités. C'est aussi un ancien militaire – cela est important dans un pays comme l'Angola. Il est de la nouvelle génération. Il forme, avec son épouse, une combinaison intéressante pour l'avenir de l'Angola qui est dans une phase de consolidation de ce qui a pu être fait depuis la fin de la guerre. Beaucoup de grands chantiers lancés sont sur le point d'être mis en service, par exemple dans le domaine énergétique, il y a 3 ou 4 barrages qui sont pratiquement terminés. Il y a de grands projets de construction de ports et d'aéroports, etc. Bien qu'on soit dans une période de crise, c'est un moment intéressant pour l'Angola, un moment de passage de témoin, en privilégiant la stabilité.
L'arrivée de João Lourenço peut-elle influer sur les relations entre l'Angola et la RDC ?
Je ne crois pas que cela change fondamentalement. Les relations entre les deux pays ont toujours été régies par des principes qui répondent à une certaine culture politique du MPLA et non à des aspects subjectifs comme des relations personnelles. L'intérêt de l'Angola a toujours été de créer des relations entre deux peuples, deux nations, et non entre deux individus. Je pense qu'il y aura une grande cohérence, une grande continuité et une stabilité…
Malgré tout, ces derniers temps, la situation semble tendue entre l'Angola et la RDC… 
Je ne pense pas qu'on puisse parler d'une situation tendue. Cette situation, avec les crises à répétition et le manque de clarté sur leurs origines, entraîne forcément un changement d'attitude dans la manière dont on aborde les relations de voisinage. Il ne s'agit pas de relations qui se refroidissent ; il s'agit juste de relations exigeantes parce qu'on ne peut pas se permettre de créer ou de laisser se créer des zones d'instabilité, notamment à la frontière avec ses voisins.

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