mardi 29 décembre 2015

LA RDC A PERDU 17 MILLIARDS USD DEPUIS 2013: VOILA OU DISPARAIT LA FAMEUSE CROISSANCE MACRO-ECONOMIQUE DONT LE CONGOLAIS N’ONT JAMAIS PROFITE

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Le Pr Stefaan MARYSSE: « Depuis 2013, la RDC a perdu 17 milliards »

Stefaan MARYSSE, professeur belge émérite à l’Institut de politique de développement et de gestion de l’université d’Anvers et directeur de l’Expertise en Afrique centrale maîtrise les sujets liés à l’économie politique dans la région des Grands Lacs. Ses constats interpellent, surtout à propos de l’évasion des profits en secteur minier.

Est-ce que l’actuel code minier profite plus aux investisseurs étrangers qu’à l’État congolais ? Si c’est le cas, ce code est-il bon ?
Ce code minier est bon. Il faut savoir que le Congo sortait d’une période extrêmement difficile et que personne ne voulait plus investir dans ce pays. Il fallait un code minier extrêmement libéral, même si cela dépend d’un contrat à un autre. En fait, tous les contrats prévoient que l’on doit amortir le capital que l’on a investi. Pendant ce temps-là, il y a trop peu de retombées pour les taxes. On fait donc des taux de profits conséquents, mais qui ne rapportent pas assez à l’État. C’est un problème.L’autre problème c’est la concentration des rentes qui est décidée par un petit cercle dans le pays.Cela amène toujours des cercles influents de personnes qui ont accès à ces ressources. En fait, c’est aussi la base politique d’un pays parce que ce sont des négociations sur des grands contrats qui sont conclus par peu de personnes et où la transparence n’est pas la priorité. Et là vous renforcez un tout petit peu ce qu’on appelle la mauvaise gouvernance. La rente minière va ainsi dans toutes les directions, sauf au Trésor public.
Au sein de ces « décideurs » occultes il y a sans doute des Congolais associés à des étrangers ?
Bien sûr. Quand on regarde les quelques transactions qui sont bien documentées, dans différents cercles, on peut affirmer qu’il n’y a pas de corruption sans corrupteur. Et donc, dans ce jeu-là, il y a toujours des centres de décision opaques, secrètes. Peut-être que cela plaît encore au Congo. En fait, un secret au Congo n’est jamais un secret pour très longtemps. Cela fait que l’on a quand même connu une certaine publicité autour des circuits de ces ventes d’actifs.
Vous avez parlé de sociétés qui basées dans des paradis fiscaux comme les îles Vierges…
Oui, ce sont de sociétés qui sont intermédiaires. On connaît, par exemple, de sources qui sont assez fiables, comment s’est passée la vente d’actifs, par la Gécamines, de la Société minière de Kabolela et de Kipese (SMKK). Il s’agissait d’une vente de 50% à une compagnie kazakhe qui s’appelle Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC). Au prix du marché, ils ont payé 75 millions de dollars pour cet actif minier. Mais l’autre moitié des actions que la Gécamines avait a été vendue à deux compagnies dans les îles Vierges à 15 millions de dollars. Donc, d’un côté la Gécamines a reçu 15 millions de la part de la compagnie minière, mais les deux compagnies sont installées aux îles Vierges et on ne connaît pas le vrai propriétaire. Une fois qu’ils ont acquis cela à 15 millions de dollars, il y a eu une nouvelle vente ENRC, la compagnie kazakhe, à 75 millions de dollars. Ces deux compagnies aux îles Vierges ont empoché à peu près 60 millions de dollars comme profit. Est-ce que ce profit va revenir au Congo ? Est-ce qu’il restera à l’extérieur ? On n’en sait rien.
CES TROUS NOIRS QUI PENALISENT L’ETAT CONGOLAIS
Il y a une expression que vous utilisez volontiers. C’est « trou noir ». Qu’entendez-vous par là ?
Oui. Le trou noir c’est lorsque quelque chose disparaît sans laisser de trace et reste introuvable. Il y a une grande opacité, il n’y a pas de transparence. Cela veut dire qu’il y a un manque à gagner pour l’État congolais à cause de certaines pratiques.
Lesquelles ?
Il y a d’abord la vente d’actifs miniers. Ensuite, l’absence des dividendes que devait toucher la Gécamines et qui n’entrent pas non plus dans les caisses de l’État pour des raisons surtout liées au passé de la Gécamines qui doit se reconstituer et, donc, veut retenir cet argent pour se reconstituer.Cela doit déboucher sur quelque chose. On se demande alors si la Gécamines peut avoir deux rôles à la fois, c’est-à-dire être courtier du sol congolais pour le compte du gouvernement et en même temps devenir de nouveau un producteur. Elle ne l’a pas été dans le passé. On mise donc sur une chose dont on ne sait pas si elle va aboutir.
Le troisième volet, ce sont toutes les pratiques des grandes entreprises internationales pour dissimiler les profits. On peut le faire par différents moyens parce que ces gens-là ont toute la connaissance et l’information. Ils peuvent sous-évaluer le chiffre d’affaires, ce qui diminue les taxes. Ils peuvent surestimer, surfacturer les coûts, cela diminue le profit. Évidemment, il y a d’autres possibilités, comme le fait de faire ressortir les profits dans les pays où l’on taxe moins. Ce qui veut dire, on a calculé ensemble avec Claudine TSHIMANGA, que la rente minière qui reviendrait à l’Etat devait au moins être deux fois plus élevée que ce qu’elle est aujourd’hui. Nous croyons facilement que l’on peut arriver à trois fois la rente minière que le gouvernement touche aujourd’hui.

Vous dites qu’à cause des profits rapatriés, le pays perd depuis 2013 entre 14 et 17 milliards de dollars…

Ce qu’on voit maintenant, selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), c’est qu’à partir de 2013, les rapatriements des profits sont plus grands que les nouveaux investissements qui entrent au pays et cette tendance s’amplifiera jusqu’en 2019. Et le pays perd. Si l’on prend la valeur actuelle de ces flux d’argent, il y a une perte nette de 17 milliards de dollars. Quand on le compare même avec les estimations les plus grandes d’argent que l’on a perdu dans la vente d’actifs, cette hémorragie légale des profits rapatriés pour le pays est beaucoup plus importante.

Est-ce que l’État congolais a les moyens d’inverser la tendance ?
Je crois que le problème n’est pas seulement que les grandes entreprises peuvent s’en aller. Comme le pays n’a pas un tissu d’entreprises en aval et en amont, elles ont très peu de possibilités de réinvestir l’argent au Congo. Donc, ils partent. Autre chose serait que le gouvernement, peut-être appuyé par les institutions financières internationales, peut discuter de la manière dont cette manne financière pourrait être utilisée pour le développement du pays.

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